Il est midi quand mon téléphone sonne. J'ai mal dormi. Je décroche à l'aveugle, un peu en vrac. C'est mon ex-DUO-ex-DET-ex-RDUO (merci les réorganisations...) qui se demande si je ne suis pas mort.
"Non non", je lui réponds, "je suis gréviste volontaire et assumé, tout va bien! "
Il me rappelle en vrac deux trois points de RH sur le droit des grévistes, comme pour me prévenir gentiment que la grève ça craint. Enfin c'est un chic type, je sais qu'il dit pas ça pour m'influencer. Et puis il conclut sur cette phrase qui me reste en travers du gosier : "tu sais sur le site, le seul gréviste c'est toi!"
Ma gare, ex-grande plateforme FRET maintenant en décomposition, gare aux innombrables victimes du grand "vecteur mobilité", étalement de bureaux vides et décrépis, avec ses conditions de travail borderlines et son encadrement fataliste... ne lutte pas. Ma gare, à la majorité CGT écrasante, se laisse crever avec ses agents entre lassitude et attente de la retraite dans cette grande fête du "chacun pour soi".
La CGT a décidé de cesser la grève vendredi dernier après trois jours d'une mobilisation risible. Ça fait plaisir de sentir l'ardeur pour sauver nos conditions de travail. Je suis une espèce de marginal maintenant.
Et ouais, j'ai le cafard. En cinq ans l'entreprise a réussi à me blaser d'une activité que j'idéalisais quand j'ai eu mon examen. Je suis moins bien payé qu'à l'embauche, j'ai un poste qui me déplait, on m'a obligé à prendre un roulement qui m'a fait perdre ma prime de dispo et mes nuits. On m'a refusé mes mutations.
Et dans cette petite gare oubliée des médias, je ne sais même pas si mon absence est comptabilisée.