Omar Benqassi n’a pas survécu à ses blessures après être resté coincé dans un attelage, entre deux wagons, le 6 septembre 2003, à la gare de Woippy. Photo Archives RL/Maury GOLINI
Douze ans de procédure. Et un jugement qui condamne la SNCF pour faute inexcusable. Lorsqu’Omar Benqassi
est mort, en septembre 2003 à la gare de triage de Woippy, il n’était pas préparé à son poste.
La décision ne veut pas seulement dire que tout est terminé. La cour d’appel reconnaît, surtout que notre père n’est pas mort dans un simple accident. Il n’y a pas de fatalité là-dedans… C’était le sens de notre démarche. »
Un combat judiciaire commencé en septembre 2003 à la mort d’Omar Benqassi, 56 ans, le père d’une famille installée à Montigny-lès-Metz. Son épouse a encore en tête l’appel d’une autre femme de cheminot. « Personne ne m’avait prévenue qu’Omar avait eu un accident… » Elle a filé à la gare de triage de Woippy. Omar est resté coincé dans l’attelage, entre deux wagons. Il n’a pas survécu à ses blessures.
« Cheminot depuis 33 ans, Omar ne faisait que remplacer du monde à la gare de triage. Il était réceptionniste, mais ce poste lui faisait peur. Il s’en était ouvert à beaucoup de monde , se souvient son épouse. Il n’avait pas l’habitude de ces manœuvres. Ce remplacement devait se terminer quelques jours plus tard. Il avait hâte… »
Une première plainte pénale déposée pour homicide involontaire est classée en 2007. « On ne voulait pas s’arrêter là, assure sa fille. On ne pouvait pas accepter que ce dossier reste sans réponse. Pour nous, il y avait des dysfonctionnements. »
Les avocats de la famille Benqassi, Stanislas Louvel et Rédouane Saoudi, saisissent le tribunal des affaires de sécurité sociale pour faire reconnaître « la faute inexcusable de l’employeur. Puisque la justice pénale avait enquêté sur cette douloureuse affaire, on avait la preuve que la victime n’avait pas été formée à son nouveau poste », indique Me Saoudi.
« Son carnet de formation était vide. M. Benqassi avait été formé quelques heures de façon discontinue. » L’avocat messin a également dénoncé le manque « de protection de l’agent. L’enquête de l’inspection du travail a démontré que la SNCF n’avait pas instauré des pratiques claires et compréhensibles en matière de sécurité ».
La SNCF a prétendu être allée aux obsèques
Face aux critiques, la SNCF a toujours plaidé sa bonne foi. Et rejeté la faute de l’accident sur le cheminot.
« Le quinquagénaire était parfaitement apte, en bonne condition physique et formé », s’est-elle défendue devant la justice. S’il est mort, c’est qu’il a fait une erreur en somme ! Dans son mémoire, la SNCF a aussi mis en avant les valeurs humaines de l’entreprise en prétendant s’être rendue à l’enterrement.
« On ne veut pas polémiquer plus que ça », mais les obsèques ont eu lieu au Maroc. « Seuls sa femme et un fils étaient présents », soupire Me Saoudi.
Il a fallu aller jusqu’en appel pour que les proches obtiennent gain de cause. « On avait gagné en première instance en 2012. L’appel est un droit mais je crois que dans certains dossiers, on peut faire autrement. Pour penser aux proches de victimes. »
Les quatre enfants d’Omar espèrent maintenant passer à autre chose. « J’ai passé un tiers de ma vie à me battre pour lui », confie l’une des filles. « On a gagné, c’est bien. C’est une vraie satisfaction. Ça va nous aider à dépasser cette histoire, je pense. Enfin, j’espère… »
La maman reste, elle, dans la tristesse. « Mes enfants sont soulagés. Moi, pas. Je ne sais pas pourquoi. Je ne peux pas l’expliquer. » Peut-être parce qu’elle sait qu’aucune décision judiciaire ne la ramènera à sa vie d’avant.
« Des sites dangereux »
La gare de triage de Woippy a connu son lot de malheurs. Il y a eu la mort d’Omar Benqassi, en 2003. Il y a eu, en 2012, deux accidents à quelques mois d’intervalle : dans le premier, un cheminot a perdu ses deux jambes. Dans le second, la victime a perdu la vie. À l’époque, employés et syndicats sont unis dans la tristesse. Et dénoncent le manque de moyens pour assurer la sécurité des agents.
Trois ans après, quelle est la situation ? Les syndicats se montrent critiques. « Le CHSCT [Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ndlr] avait pointé du doigt, après les événements de 2012, un problème d’éclairage. Rien n’a été fait. Quant au livret de formation des agents, c’est tombé aux oubliettes », déplore David Donnez, responsable CGT. Un état des lieux qui ne peut « qu’aggraver la situation » sur le site de Woippy. « C’est simple, la seule réponse qu’on a eue en termes de sécurité, c’est la baisse des effectifs. On a perdu 82 agents depuis 2013. » Le syndicaliste fait une analyse de la situation radicalement différente de la direction nationale du fret de la SNCF, qui assure « qu’après les accidents, un grand plan d’actions a été lancé. En termes de formation, de signalisation, de sensibilisation aux risques aussi. Évidemment que l’on a étudié de près ce qu’il s’est passé. En 2014, on a encore amélioré les choses. » Une politique qui ne « dit absolument rien » à David Donnez.
Une constatation : depuis 2012, aucun autre incident dramatique n’a été déploré sur le site de Woippy. « Cette gare de triage n’est pas plus accidentogène qu’une autre , observe la direction. Ce sont des sites dangereux parce qu’il y a beaucoup de mouvements et de manipulations. »