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Le big bang du rail - le Monde 6 décembre 2011


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Le Monde 6 décembre 2011

http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/12/06/le-big-bang-du-rail_1613919_3234.html#ens_id=1613329

Le big bang du rail

Alphonse Allais rêvait de construire les villes à la campagne parce que l'air y est meilleur... S'il avait été ingénieur ferroviaire, il aurait peut-être imaginé le moyen de transport ad hoc : un train à la fois ultrarapide et qui... s'arrête partout. L'impossible prototype serait aujourd'hui d'un grand secours à la SNCF, alors que se profile la mise en place de son nouveau plan de circulation : 85 % des horaires seront modifiés dimanche 11 décembre.

Concilier vitesse et accessibilité, satisfaire les besoins des grandes villes et ceux des plus petites : la grande équation ferroviaire a beau être vieille comme la vapeur, il est beaucoup question de cette somme d'exigences contradictoires, partout où la réforme dite du "cadencement" a du mal à passer.

A BLOIS, "LA DOUBLE PEINE"

A Blois, la colère monte graduellement. A la gare, une centaine d'élus locaux et d'usagers ont envahi les voies, lundi 5 décembre, comme ils l'avaient déjà fait fin octobre. Sur la carte de France des mécontentements, Blois est probablement moins un cas critique que le cas type d'une ville moyenne (50 000 habitants), située dans un entre-deux géographique, à égale distance d'une capitale régionale (Orléans) et d'une desserte TGV (Tours). Blois est aussi une ville qui n'a pas cru à la grande vitesse quand on la lui a proposée, au contraire de Vendôme, à 30 km plus au nord. "C'est la double peine, estime le maire, Marc Gricourt (PS). Non seulement on a raté le TGV il y a vingt ans, mais on s'achemine aujourd'hui vers une détérioration des dessertes classiques."

Perçue comme une "catastrophe" par les édiles locaux, la nouvelle offre ferroviaire illustre surtout l'art de la SNCF de brouiller les pistes. Le trajet Blois-Paris est un cas d'école. D'un côté, le nombre de trains rapides (1 h 24 de trajet) va passer de un à quatre par jour, ce qui est un progrès indéniable au vu du temps moyen de parcours actuel (1 h 57). Surtout pour une ligne diagnostiquée comme "malade" par la SNCF - avec deux noeuds ferroviaires, beaucoup de montées et de descentes de voyageurs et d'indispensables travaux. De l'autre côté, à l'exception d'un train à 7 heures, ces express sont placés à des horaires (midi, 16 heures, 18 heures) qui ne conviennent guère à ceux qui "montent" travailler quotidiennement à la capitale.

"On voulait des rapides, on les a eus, est bien obligé de constater Eric Boileau, le président de l'Association d'usagers Blois-Paris Illico (500 adhérents). Le problème est qu'ils ne sont pas aux bons moments de la journée."

Mais encore ont-ils l'avantage d'être directs. Car les dix autres allers quotidiens nécessiteront tous désormais une "rupture de charge" à Orléans - comprenez une correspondance. La perspective de changer de train après trente minutes de voyage est vécue comme un traumatisme à Blois. Les uns auront à peine le temps d'allumer leur ordinateur. Les autres devront interrompre leur sommeil. Et, fatalement, la garantie de poursuivre son voyage à la place de son choix sera plus faible - juste retour des choses diront les Orléanais, qui étaient parfois obligés devoyager debout "à cause" des Blésois montés avant eux... Que dire, enfin, du stress supplémentaire induit par cette nouvelle règle ferroviaire : les trains à l'heure n'attendront plus ceux qui sont en retard.

"IL FAUT RÂLER, RÂLER ET CONTINUER DE RÂLER !"

A quelques jours de l'application de la réforme, envahir des voies pour réclamertrois trains supplémentaires semblerait vain si les négociations n'étaient toujours en cours. Une médiatrice, Nicole Notat, a été nommée par la SNCF et Réseau ferré de France (RFF) afin de régler les cas litigieux, dans la perspective de possibles aménagements courant 2012. Faire du bruit apparaît du coup comme le seul moyen de se faire entendre, explique en substance Christophe Degruelle, le président (PS) d'Agglopolys, la communauté d'agglomération : "Il faut râler, râler etcontinuer de râler !"

En la matière, Blois peut se prévaloir d'une certaine expérience. Ses premières revendications remontent à 2009, bien avant que le cadencement ne soit lancé sur les rails. Les élus locaux avaient alors obtenu audience auprès de Guillaume Pepy, le président de la SNCF, afin de réclamer une meilleure desserte, dans le but deredynamiser le quartier autour de la gare de Blois.

LE SENTIMENT DE " S'ÊTRE FAIT BALADER"

Avoir établi un dialogue en amont avec la régie a-t-il fait croire à Blois que ses demandes seraient entièrement satisfaites ? "On a le sentiment de s'être faitbalader, poursuit Christophe Degruelle. Mais la SNCF est comme ça. Il faut du temps avant que l'impulsion qui part de la tête n'arrive à destination." Le maire, Marc Gricourt, n'est pas plus tendre : "Pendant deux ans, SNCF et RFF ont eu un discours rassurant à notre égard et semblaient avoir écouté nos attentes. Au final, les actes ne correspondent pas aux paroles. On a été grugés."

Grugés ? Ou peu conscients que le grand jeu de construction des nouveaux horaires était, d'abord, un "projet global" à entrées multiples ? Pour les autorités de transport, l'objectif de la réforme est pluriel. Il s'agit à la fois de faire des travaux sur un réseau en mauvais état, de libérer de nouveaux sillons pour le fret, de clarifier la politique d'horaires - tout ceci au nom d'un "intérêt général" qui, automatiquement, se heurte à une somme d'"intérêts particuliers", martèle-t-on au siège de la SNCF.

"On est sur du transport de masse et non pas sur du transport individuel, appuie la directrice régionale, Laurence Eymieu. A un moment donné, on ne peut passatisfaire toutes les demandes. Il ne faut pas perdre de vue l'ambition qui est projetée : l'amélioration du réseau." Ce que Laurence Eymieu résume d'une formule : "Des ennuis aujourd'hui pour du mieux demain. Sans ennuis, plus de réseau demain."

PRESSIONS ET CONCESSIONS

Des ajustements ont pourtant été effectués depuis l'annonce des nouveaux horaires. La suppression d'un TER partant de Tours à 7 heures avait créé un certain émoi, notamment à l'IUT de Blois, dont un bâtiment, tout neuf, est situé juste en face de la gare. Certains enseignants n'auraient pas pu assurer leurs cours à 8 heures "Nous en étions à imaginer des cours à 8 h 30 pour les profs venant de Tours et à 8 heures pour les profs habitant Blois", raconte la directrice de l'établissement, Isabelle Laffez.

Une pluie de courriers plus tard, le train a finalement été reprogrammé... mais au grand dam des petites communes situées sur le tracé qui auraient aimé que le train en question s'arrête également chez elles. "Bref, on se fait engueuler des deux côtés", soupire Jean-Michel Bodin, le vice-président (PC) de la région Centre,"autorité organisatrice" sur son territoire. Dans certains villages des environs, comme Chissay-en-Touraine (1 000 habitants), la grogne a également conduit les habitants sur les voies, la semaine dernière.

Comme souvent, évaluer la proportion des mécontents et celle des satisfaits est un exercice complexe, les premiers ayant tendance à donner de la voix et les seconds à se taire. Chaque cas est particulier. Prenez Marine d'Epinay, une étudiante en science et génie des matériaux qui effectue tous les jours le trajet Orléans-Blois :"Pour moi, le cadencement c'est du donnant-donnant", dit-elle. Un nouvel horaire lui permettra d'arriver plus confortablement pour les journées commençant à 10 heures. Un autre, à l'inverse, l'obligera à se "lever vingt minutes plus tôt" pour les cours de 8 heures.

Sonder les opinions de manière fiable revient souvent à mettre dans la balance des contingences personnelles - nounou à libérer, bus à attraper, atelier yoga à ne pasrater... "Les gens sont enferrés dans des contraintes de temps qui se jouent à la minute près. C'est le lancement d'Ariane au quotidien", analyse Jean-Michel Bodin à la région Centre.

"LA RENTABILITÉ NE PEUT PAS GOUVERNER LES CHOIX DE LA SNCF"

Les désagréments prennent une tout autre ampleur lorsque le dernier train du soir est supprimé. A Blois, la "grande affaire" est précisément la disparition, en semaine, du 22 h 52 au départ de Paris-Austerlitz. Souvent présenté comme la"roue de secours" des provinciaux qui ne veulent pas dormir à l'hôtel à Paris, cet Intercités ne transporte pas plus de 50 passagers certains jours. De là à penserqu'il n'est pas assez "rentable" pour la SNCF, le pas est vite franchi. Ce que confirme à demi-mot Laurence Eymieu. "Le train, ça coûte de l'argent. Celui-ci n'est pas plein. Il lui faut un financement", estime la directrice régionale en renvoyant la question de sa sauvegarde dans le jardin des collectivités, Etat et région. "La rentabilité ne peut pas gouverner les choix de la SNCF, s'offusque Eric Boileau, président de l'association des usagers blésois et ingénieur en semaine à Paris. Qu'on ne me parle de rentabilité à propos d'un train qui roule sur des voies construites il y a 110 ans et dont les voitures datent de 1984 !"

La suppression du 22 h 52 devrait en tout cas toucher une population particulièrement sensible pour les décideurs locaux : les cadres en transit dans la capitale - en provenance de Bruxelles, Lyon et ailleurs. Ne pas pouvoir rentrer à Blois après 20 h 30, nouvel horaire du dernier train au départ de Paris, est d'ailleurs impensable pour eux. "Ceux qui le pourront quitteront leurs réunions plus tôt. Les autres reprendront la voiture", se désole Marie-Christine Lebert, une salariée du groupe Atos, qui emploie 500 personnes à Blois. Pour cette habituée, ce train est synonyme de "service public".

Voir les routes se remplir "en raison de la dégradation de l'offre ferroviaire" est aussi la grande crainte d'Isabelle Laffez, la directrice de l'IUT : "La vocation d'un établissement comme le nôtre est de participer à l'aménagement du territoire. Un IUT à Blois, entre Orléans et Tours, se justifie pleinement. Mais encore faut-il que nous ayons les infrastructures qui vont avec." Elle pousse le raisonnement jusqu'à l'absurde : "On ne va quand même pas faire tous les cours en visioconférences !"Et encore moins mettre les villes à la campagne.

Frédéric Potet

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Sonder les opinions de manière fiable revient souvent à mettre dans la balance des contingences personnelles - nounou à libérer, bus à attraper, atelier yoga à ne pasrater... "Les gens sont enferrés dans des contraintes de temps qui se jouent à la minute près. C'est le lancement d'Ariane au quotidien", analyse Jean-Michel Bodin à la région Centre.
voilà une excellente description du comportement de nos contemporains, qui aide à mieux comprendre l'exasperation etl'impatience...notement aux PN...

Fabrice

Modifié par Fabr
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des établissements scolaires ont adapté leurs horaires à celui des trains: on peut regretter que ce bigbang horaire n'ait pas eu lieu fin août, avant la rentrée scolaire.

Les nouveaux horaires pourront intéresser une nouvelle clientèle.

Au pire, si plantage entre demande et offre, on risque d'assister à un report sur la route important, pour les petites et moyennes distances. Mais après, on peut s'attendre à un équilibre, une fois les contraintes personnelles horaires résolues par arrangements.

Ce qui m'inquiète avec ce cadencement imposé, c'est l'opacité des régles en cas de retard, de rupture de correspondance.

Pourtant une vidéo sur le cadencement suisse largement diffusé en interne montre que là se trouve les contraintes organisationnelles à organiser pour assurer le succès du cadencement sinon c'est l'effet boule-de-neige qui se propagerait de manière exponentielle.

On voyait bien que le personnel en bureau était quasiment réquisitionné pour assurer une service sur les quais, pour rattraper minute par minute les retards en guidant les clients.

D'ailleurs la stricte séparation sur le terrain jouera contre nous, par exemple si les trains ne sont pas reçus au quai planifié...

Qui a reçu une information sur la conduite à tenir en gare lorsque qu'un train "cadencé" accusera un retard de +10 minutes?

on le supprime et invite les clients à emprunter le suivant ?

on persévère à retarder les correspondances, quitte à sacrifier leurs horaires "cadencés" et avoir des pénalités en retard ?

Au delà de la mise en place du SA2012, dans la difficulté certainement, on devrait proposer les recettes miracles pour faire face aux aléas de production et sauver ce cadencement.

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