C’est un message populaire. likorn Publication: 13 mars 2018 C’est un message populaire. Publication: 13 mars 2018 (modifié) 21h00, prise de service, un vendredi quelconque. J'ai toujours aimé les services de nuit, et encore plus le weekend. J'aime la nuit, quand je ne bosse pas, je m'en vais suivre ceux que je ramène quand je bosse. J'en connais certains, j'en ai fait partie, j'aime cette ambiance si intimiste, ce moment où ceux qui la semaine durant laissent sortir leurs entrailles et ne pensent plus à correspondre au bon citoyen, j'aime les odeurs, la fatigue, le bruit et même cette folie si surprenante. J'ai regardé au début du mois, entre les concerts et le début des vacances, je sais que mes trains seront pleins et que ceux qui les emprunterons ne seront pas mieux. J'ai prévu le thé, le bon sommeil préparateur, et la musique pour le cas où je ne pourrais pas aller au terminus. Premier départ vers Villeneuve, à cette heure ci, à l'aller, rien de très particulier. Les gens ne rentrent pas, ils arrivent, et m'éloigner de Lausanne n'est pas leur rendre service. À Villeneuve, un groupe traine voie 1, l'un d'eux tient absolument à montrer qu'il possède un organe reproductif plus important que la moyenne et multiplie les traversées à niveau sans emprunter le passage souterrain. Ma préparation terminée, je m'installe sur le banc, je regarde, j'écoute et me convainc assez rapidement que l'énergumène n'est pas plus que ça soutenu par son équipe, entre les "t'es fous" et les "arrête" il me semble plus qu'évident que l'épate se limite à ce que je vois. Je finis de rouler une de mes rares cigarettes - car je ne fume que le weekend - et je me rends vers l'oiseau en équilibre sur le rail. -Mon grand, tu sais, mourir jeune, c'est bête, surtout sous le regard de ceux qui t'aiment. Le gars se retourne, me regarde, tente de rependre la main avant que je ne l'interrompe. -Mis à part ta famille et tes potes, personne ne pleurera sur ta bêtise, y a mieux pour faire l'adulte. Il est 22h00, la nuit va être longue, reste en vie. Ça ricane voie une; le fou hésite, constate que c'est perdu et rejoint ses potes. Je passe par le sous-voie, marquant le coups, reste de ma petite tentative d'être éducateur. -Je ne voudrais pas non plus que tu en gardes un mauvais souvenir, mais ce que tu fais, pour toi c'est la mort et pour nous trois jours de congé. Vraiment. Une petite discussion s'ensuit, avec les excuses d'usage, la demande de visite (refusée) de la cabine, puis les aurevoir. Eux restent à boire sur le banc, Lausanne ne les appelle pas encore et les tarifs les emmerdent. Voie libre. C'est le moment, je suis vraiment de bonne humeur. À Montreux, première sortie de cabine pour dégager quatre fumeur de la première classe, c'est rare que j'ai envie de m'en occuper et de me mettre en retard pour ça, mais là j'ai la niak. Je lutte un coups, je marque qu'entre fumer ou attendre la police il n'y a qu'un choix et peu de temps, et me revoilà en route, première classe désenfumée et sans risque de déclenchement de l'alarme incendie (un risque que j'ai abordé incidemment, l'air de rien...). Clarens, Burier, La Tour-de-Peilz, la Riviéra et ses mauvais garçons défile. Derrière-moi, en première, ça ne fume pas mais ça bois et ça gueule. Je patiente jusqu'à Vevey, je sais que j'y aurais le temps. Ca surprend toujours d'ouvrir ça porte; je m'installe sur le siège libre, j'explique, j'aime le silence, entrendre des hurlements dans mon dos - même pour rire - me déconcentre et m'emmerde. Soit ils arrêtent, soit je m'arrête, eux veulent aller à une soirée, moi pas plus que ça. La porte ouverte sur ma cabine engage la conversation, et vas-y que c'est cool mais que je suis un casse-couille de merde; et qu'ils abdiquent. Première classe silencieuse, pas complètement vide de fraudeur cela dit, mais au moins calme. Et départ, avec 5 minutes de retard. Je m'en fous bien, le weekend je n'ai encore jamais signé le moindre rapport. Lausanne, ça décharge, ça engrange la faune de Renens. J'aime bien Renens, c'est à trois minutes, je ne sors que le temps de rappeler la présence des poubelles. Ce sera un appel vain, comme souvent ici, mais ça met du baume au cœur aux nettoyeurs. Au delà de Renens, c'est le calme, la virée vers Allamand est tout ce qu'il y a de plus paisible. Je roule fenêtre ouverte, la fatigue est quand même là et je décide de mettre un fond sonore tout en m'annonçant à haute voie les signaux. Je roule fort, je m'amuse, quelques arrivées à la genevoise : vidange CG puis remplissage. C'est le weekend, je suis décidément de très bonne humeur. Retour. Au départ, je note un groupe qui fête. Vodka, musique, ça danse, ça hurle. Allant aux WC de gare, je trouve une victime, le sérieux de l'équipe. Je le nomme responsable de ces potes, je ne veux pas une bouteille vide hors des poubelles. Je n'ai rien pour contrôler, mais ça m'amuse. Départ et roulage plus sympa, il y a de la boisson en équilibre, voir du singe dans les mains-courantes, ce serait dommage... À Morges, un gars accourt alors que les portes se ferment. Je déverrouille, aucun remerciement visible, j'annonce par l'UIC "De rien, et bonne soirée". St-Jean, Lonay, Denges, Renens puis Malley, et voilà qu'un type court à la hauteur de ma fenêtre et lève la main en hurlant un "merci". Je souris et lève la main, le pouce en haut m'est destiné, ma soirée ne pourra pas être mauvaise. Lausanne, retour Villeneuve. C'est calme, je ne prends pas le temps de faire autre chose que mon métier : rouler. Villeneuve est plus calme, l'équipe est partie, je prends le temps de causer à une demoiselle qui fume sur le banc voie 2, pas tant parce que c'est une demoiselle mais surtout parce qu'elle semble mal. Elle m'explique qu'elle s'est engueulée avec son copain, que c'est un salaud, que la vie n'est que merde et tristesse. J'ai dix minutes, j'écoute, j'invite à ne pas se laisser aller et à ne pas rester sur le banc. La demoiselle me rit au nez, elle va en ville, on l'attend, je suis bien un mec pour croire qu'elle aurait des idées noires. On repart, pour Grandson, il est tard, une heure. Montreux n'est peuplé que d'une dizaine de bourrés qui rentre, personne dans mon dos, je fonce. Vevey est encore plus vide, pourtant sur le quai ça gueule, je prends une petite seconde mais ne constate aucune bagarre. Et puis bon, je ne suis pas sûr d'avoir envie, à ces heures l'alcool rend les gens trop imprévisibles et mon côté st-bernard se heurte à ma prudence. Re-départ, je profite du lac, de la lune au travers des nuages. J'ouvre de nouveau ma fenêtre, tout en restant concentré; il est trop tôt dans la saison mais ici il n'est pas rare d'avoir du monde au bord des voies. Nous sommes en bord de lac, n'importe qui qui souhaiterait se baigner dans un lieu tranquille sait qu'il faut venir ici et que le ballast est le seul chemin. J'ai fait pareil, ça ne me dérange pas; il faut juste respecter le code : à l'approche d'un train, s'éloigner du caniveau et faire face. Mais à ces heures je me méfie, j'ai déjà croisé une vingtaine de personnes et tous n'étaient pas très frais ni réactif. Avant Rivaz, des ombres sautent dans l'eau depuis le rocher, ils y en a déjà à la plage. Au niveau du Dézaley, je suis convaincu de voir un barbecue entre deux rochers. Lausanne, encore, le quai noir de monde. C'est le début des grands retours. J'ouvre ma fenêtre, réflexe d'avant, de la vieille époque, de quand on devait le faire en entrant en gare pour pouvoir entendre le cri éventuel d'un passager qui tomberait. Tu parles d'une mesure de sécurité... Un type s'affale à la fenêtre et me demande mon prénom et ma destination, il croit un instant que Grandson pourrait être un prénom, avant de s’engouffrer en première. Je le fous dehors de celle-ci séance tenante. Le sous-chef de quai arrive à ma hauteur, je lui demande s'il compte me donner l'Autorisation de Départ depuis mon niveau ou l'extrémité de la marquise : il me répond que c'est encore assez calme, il la donnera de mon niveau. Ouverture, autorisation de départ, bonne merde avec ton uniforme orange. Re-renens. ça décharge, j'entends la suspension pneumatique qui regonfle. Je constate une traversée des voies à la queue de mon train, la routine sur le passage à char ici. Au moins, il n'y a aucune poussette. Vufflens puis Cossonay. À Cossonay une équipe que je connais traine voie une. C'est mon village, je descends leur rappeler que la poubelle ne sert pas à rien ; ça ricane, mais ça ramasse. Eclépens, Bavois, etc... Terminus Grandson. Je traverse, il y a des endormis, je ne tiens pas à ce qu'ils se retrouvent à Lausanne, ça fera mauvais effet et je n'ai pas envie de gérer ça. Je réveille ceux qui me semblent ne pas être des requérants ou des sans-abris. Je me fais offrir une bière en remerciement, ce qui est trop gentil vu qu'elle est n'est pas ouverte. Retour à Yverdon, je reprends 5 minutes de retard à vérifier que ceux que j'ai réveillé sortent bien. Ils ne sont pas nombreux, mais l'un d'eux n'ira clairement pas plus loin que sur le banc du quai, il attend un train pour Estavayer qui ne sera là que dans trois heures : bonne nuit mon grand. Rien à signaler jusqu'à Bussigny, la campagne vaudoise est calme à ces heures. Même à Cossonay, personne ne semble plus vivre, je ne constate que deux bières sous le banc abandonné, je suis plutôt satisfait. Lausanne, dernière fois. C'est l'ultime passage, le ramassage scolaire du début de la fermeture des boites de nuit. La gare est bien plus bruyante qu'en plein jour, ça hurle, ça gueule, ça s’engueule. Le sous-chef me donne l'Autorisation de départ depuis le bout de la marquise. La fatigue pointe mais je fais mon petit speech sur l'utilité des poubelles et la gentiellesse de mes amis du nettoyage. Je me sens comme Don Quicchotte, mais bah... Vevey est en vue, je largue la faune. Je constate une ombre sous ma fenêtre, il y a un retardataire qui tente de faire croire qu'il est arrivé à l'heure ; le choix est simple, soit j'attends la police, soit tu attends le premier train sur le quai. Le type râle, refuse, menace. Je retourne en cabine, ensuite j'annonce par l'UIC qu'en raison d'une opération de police, notre train subira un retard indéterminé. J'ai le temps, j'ai ma musique et l'extincteur prêt si le type tente autre chose de plus pénible. Je constate qu'il s'en va, l'idée d'attendre la police le démotive trop, je ferme les portes, je repars le sourire au lèvre et me décide à retenter des records de freinage. Faut réveiller la clientèle à ces heures, et je suis gentil de considérer qu'elle paie. Je rigole un peu en voyant monter divers dérangement tels que "incohérence odométrie" : L'ETCS est vraiment une belle merde. Montreux arrive, arrêt parfait avec un magnifique lâcher de pédale, ça me rappelle ma formation. Arrivée presque à l'heure à Villeneuve. En traversant le train je réveille tout le monde, on rentre et là plus aucun train ne circule en dehors du mien. Il y a deux étrangers qui clairement ne comprennent pas, ils descendent en pensant être à Montreux, ça leur fera les pieds, moi j'ai surtout envie d'y aller. Dernier retour, calme, tranquille, je profite de la vue, des odeurs lacustres et de cette ambiance de fin du monde que j'aime tant. Je me dis que j'ai de la chance, j'aime mon taff, j'y trouve du sens, même si là le bon-sens serait d'aller au lit. Arrivée à Lausanne. Je vide, il y a trois types qui dorment mais aucun n'a raté sa station. Je me souviens d'un dimanche soir et d'un passager qui étant monté à Romont et devait descendre à la première halte ; il avait traversé toute la Romandie : Fribourg, Payerne, Yverdon, pour se retrouver à une heure du matin à Lausanne, sans aucun train avant 5 heures et seulement pour aller travailler sans dormir. Il était vraiment mal, mais je n'avais aucune solution à lui proposer. Là, ce soir, pas de soucis, une fois vidé, j'éteins les lumières et laisse tout ouvert pour le nettoyage : il y a du vomi et les wc sont plus que lamentables, mais pas bouché. Un soir de weekend ordinaire en somme. Modifié 13 mars 2018 par likorn 9 4
mikishor Publication: 14 mars 2018 Publication: 14 mars 2018 Il y a 10 heures, likorn a dit : 21h00, prise de service, un vendredi quelconque. J'ai toujours aimé les services de nuit, et encore plus le weekend. J'aime la nuit, quand je ne bosse pas, je m'en vais suivre ceux que je ramène quand je bosse. J'en connais certains, j'en ai fait partie, j'aime cette ambiance si intimiste, ce moment où ceux qui la semaine durant laissent sortir leurs entrailles et ne pensent plus à correspondre au bon citoyen, j'aime les odeurs, la fatigue, le bruit et même cette folie si surprenante. J'ai regardé au début du mois, entre les concerts et le début des vacances, je sais que mes trains seront pleins et que ceux qui les emprunterons ne seront pas mieux. J'ai prévu le thé, le bon sommeil préparateur, et la musique pour le cas où je ne pourrais pas aller au terminus. Premier départ vers Villeneuve, à cette heure ci, à l'aller, rien de très particulier. Les gens ne rentrent pas, ils arrivent, et m'éloigner de Lausanne n'est pas leur rendre service. À Villeneuve, un groupe traine voie 1, l'un d'eux tient absolument à montrer qu'il possède un organe reproductif plus important que la moyenne et multiplie les traversées à niveau sans emprunter le passage souterrain. Ma préparation terminée, je m'installe sur le banc, je regarde, j'écoute et me convainc assez rapidement que l'énergumène n'est pas plus que ça soutenu par son équipe, entre les "t'es fous" et les "arrête" il me semble plus qu'évident que l'épate se limite à ce que je vois. Je finis de rouler une de mes rares cigarettes - car je ne fume que le weekend - et je me rends vers l'oiseau en équilibre sur le rail. -Mon grand, tu sais, mourir jeune, c'est bête, surtout sous le regard de ceux qui t'aiment. Le gars se retourne, me regarde, tente de rependre la main avant que je ne l'interrompe. -Mis à part ta famille et tes potes, personne ne pleurera sur ta bêtise, y a mieux pour faire l'adulte. Il est 22h00, la nuit va être longue, reste en vie. Ça ricane voie une; le fou hésite, constate que c'est perdu et rejoint ses potes. Je passe par le sous-voie, marquant le coups, reste de ma petite tentative d'être éducateur. -Je ne voudrais pas non plus que tu en gardes un mauvais souvenir, mais ce que tu fais, pour toi c'est la mort et pour nous trois jours de congé. Vraiment. Une petite discussion s'ensuit, avec les excuses d'usage, la demande de visite (refusée) de la cabine, puis les aurevoir. Eux restent à boire sur le banc, Lausanne ne les appelle pas encore et les tarifs les emmerdent. Voie libre. C'est le moment, je suis vraiment de bonne humeur. À Montreux, première sortie de cabine pour dégager quatre fumeur de la première classe, c'est rare que j'ai envie de m'en occuper et de me mettre en retard pour ça, mais là j'ai la niak. Je lutte un coups, je marque qu'entre fumer ou attendre la police il n'y a qu'un choix et peu de temps, et me revoilà en route, première classe désenfumée et sans risque de déclenchement de l'alarme incendie (un risque que j'ai abordé incidemment, l'air de rien...). Clarens, Burier, La Tour-de-Peilz, la Riviéra et ses mauvais garçons défile. Derrière-moi, en première, ça ne fume pas mais ça bois et ça gueule. Je patiente jusqu'à Vevey, je sais que j'y aurais le temps. Ca surprend toujours d'ouvrir ça porte; je m'installe sur le siège libre, j'explique, j'aime le silence, entrendre des hurlements dans mon dos - même pour rire - me déconcentre et m'emmerde. Soit ils arrêtent, soit je m'arrête, eux veulent aller à une soirée, moi pas plus que ça. La porte ouverte sur ma cabine engage la conversation, et vas-y que c'est cool mais que je suis un casse-couille de merde; et qu'ils abdiquent. Première classe silencieuse, pas complètement vide de fraudeur cela dit, mais au moins calme. Et départ, avec 5 minutes de retard. Je m'en fous bien, le weekend je n'ai encore jamais signé le moindre rapport. Lausanne, ça décharge, ça engrange la faune de Renens. J'aime bien Renens, c'est à trois minutes, je ne sors que le temps de rappeler la présence des poubelles. Ce sera un appel vain, comme souvent ici, mais ça met du baume au cœur aux nettoyeurs. Au delà de Renens, c'est le calme, la virée vers Allamand est tout ce qu'il y a de plus paisible. Je roule fenêtre ouverte, la fatigue est quand même là et je décide de mettre un fond sonore tout en m'annonçant à haute voie les signaux. Je roule fort, je m'amuse, quelques arrivées à la genevoise : vidange CG puis remplissage. C'est le weekend, je suis décidément de très bonne humeur. Retour. Au départ, je note un groupe qui fête. Vodka, musique, ça danse, ça hurle. Allant aux WC de gare, je trouve une victime, le sérieux de l'équipe. Je le nomme responsable de ces potes, je ne veux pas une bouteille vide hors des poubelles. Je n'ai rien pour contrôler, mais ça m'amuse. Départ et roulage plus sympa, il y a de la boisson en équilibre, voir du singe dans les mains-courantes, ce serait dommage... À Morges, un gars accourt alors que les portes se ferment. Je déverrouille, aucun remerciement visible, j'annonce par l'UIC "De rien, et bonne soirée". St-Jean, Lonay, Denges, Renens puis Malley, et voilà qu'un type court à la hauteur de ma fenêtre et lève la main en hurlant un "merci". Je souris et lève la main, le pouce en haut m'est destiné, ma soirée ne pourra pas être mauvaise. Lausanne, retour Villeneuve. C'est calme, je ne prends pas le temps de faire autre chose que mon métier : rouler. Villeneuve est plus calme, l'équipe est partie, je prends le temps de causer à une demoiselle qui fume sur le banc voie 2, pas tant parce que c'est une demoiselle mais surtout parce qu'elle semble mal. Elle m'explique qu'elle s'est engueulée avec son copain, que c'est un salaud, que la vie n'est que merde et tristesse. J'ai dix minutes, j'écoute, j'invite à ne pas se laisser aller et à ne pas rester sur le banc. La demoiselle me rit au nez, elle va en ville, on l'attend, je suis bien un mec pour croire qu'elle aurait des idées noires. On repart, pour Grandson, il est tard, une heure. Montreux n'est peuplé que d'une dizaine de bourrés qui rentre, personne dans mon dos, je fonce. Vevey est encore plus vide, pourtant sur le quai ça gueule, je prends une petite seconde mais ne constate aucune bagarre. Et puis bon, je ne suis pas sûr d'avoir envie, à ces heures l'alcool rend les gens trop imprévisibles et mon côté st-bernard se heurte à ma prudence. Re-départ, je profite du lac, de la lune au travers des nuages. J'ouvre de nouveau ma fenêtre, tout en restant concentré; il est trop tôt dans la saison mais ici il n'est pas rare d'avoir du monde au bord des voies. Nous sommes en bord de lac, n'importe qui qui souhaiterait se baigner dans un lieu tranquille sait qu'il faut venir ici et que le ballast est le seul chemin. J'ai fait pareil, ça ne me dérange pas; il faut juste respecter le code : à l'approche d'un train, s'éloigner du caniveau et faire face. Mais à ces heures je me méfie, j'ai déjà croisé une vingtaine de personnes et tous n'étaient pas très frais ni réactif. Avant Rivaz, des ombres sautent dans l'eau depuis le rocher, ils y en a déjà à la plage. Au niveau du Dézaley, je suis convaincu de voir un barbecue entre deux rochers. Lausanne, encore, le quai noir de monde. C'est le début des grands retours. J'ouvre ma fenêtre, réflexe d'avant, de la vieille époque, de quand on devait le faire en entrant en gare pour pouvoir entendre le cri éventuel d'un passager qui tomberait. Tu parles d'une mesure de sécurité... Un type s'affale à la fenêtre et me demande mon prénom et ma destination, il croit un instant que Grandson pourrait être un prénom, avant de s’engouffrer en première. Je le fous dehors de celle-ci séance tenante. Le sous-chef de quai arrive à ma hauteur, je lui demande s'il compte me donner l'Autorisation de Départ depuis mon niveau ou l'extrémité de la marquise : il me répond que c'est encore assez calme, il la donnera de mon niveau. Ouverture, autorisation de départ, bonne merde avec ton uniforme orange. Re-renens. ça décharge, j'entends la suspension pneumatique qui regonfle. Je constate une traversée des voies à la queue de mon train, la routine sur le passage à char ici. Au moins, il n'y a aucune poussette. Vufflens puis Cossonay. À Cossonay une équipe que je connais traine voie une. C'est mon village, je descends leur rappeler que la poubelle ne sert pas à rien ; ça ricane, mais ça ramasse. Eclépens, Bavois, etc... Terminus Grandson. Je traverse, il y a des endormis, je ne tiens pas à ce qu'ils se retrouvent à Lausanne, ça fera mauvais effet et je n'ai pas envie de gérer ça. Je réveille ceux qui me semblent ne pas être des requérants ou des sans-abris. Je me fais offrir une bière en remerciement, ce qui est trop gentil vu qu'elle est n'est pas ouverte. Retour à Yverdon, je reprends 5 minutes de retard à vérifier que ceux que j'ai réveillé sortent bien. Ils ne sont pas nombreux, mais l'un d'eux n'ira clairement pas plus loin que sur le banc du quai, il attend un train pour Estavayer qui ne sera là que dans trois heures : bonne nuit mon grand. Rien à signaler jusqu'à Bussigny, la campagne vaudoise est calme à ces heures. Même à Cossonay, personne ne semble plus vivre, je ne constate que deux bières sous le banc abandonné, je suis plutôt satisfait. Lausanne, dernière fois. C'est l'ultime passage, le ramassage scolaire du début de la fermeture des boites de nuit. La gare est bien plus bruyante qu'en plein jour, ça hurle, ça gueule, ça s’engueule. Le sous-chef me donne l'Autorisation de départ depuis le bout de la marquise. La fatigue pointe mais je fais mon petit speech sur l'utilité des poubelles et la gentiellesse de mes amis du nettoyage. Je me sens comme Don Quicchotte, mais bah... Vevey est en vue, je largue la faune. Je constate une ombre sous ma fenêtre, il y a un retardataire qui tente de faire croire qu'il est arrivé à l'heure ; le choix est simple, soit j'attends la police, soit tu attends le premier train sur le quai. Le type râle, refuse, menace. Je retourne en cabine, ensuite j'annonce par l'UIC qu'en raison d'une opération de police, notre train subira un retard indéterminé. J'ai le temps, j'ai ma musique et l'extincteur prêt si le type tente autre chose de plus pénible. Je constate qu'il s'en va, l'idée d'attendre la police le démotive trop, je ferme les portes, je repars le sourire au lèvre et me décide à retenter des records de freinage. Faut réveiller la clientèle à ces heures, et je suis gentil de considérer qu'elle paie. Je rigole un peu en voyant monter divers dérangement tels que "incohérence odométrie" : L'ETCS est vraiment une belle merde. Montreux arrive, arrêt parfait avec un magnifique lâcher de pédale, ça me rappelle ma formation. Arrivée presque à l'heure à Villeneuve. En traversant le train je réveille tout le monde, on rentre et là plus aucun train ne circule en dehors du mien. Il y a deux étrangers qui clairement ne comprennent pas, ils descendent en pensant être à Montreux, ça leur fera les pieds, moi j'ai surtout envie d'y aller. Dernier retour, calme, tranquille, je profite de la vue, des odeurs lacustres et de cette ambiance de fin du monde que j'aime tant. Je me dis que j'ai de la chance, j'aime mon taff, j'y trouve du sens, même si là le bon-sens serait d'aller au lit. Arrivée à Lausanne. Je vide, il y a trois types qui dorment mais aucun n'a raté sa station. Je me souviens d'un dimanche soir et d'un passager qui étant monté à Romont et devait descendre à la première halte ; il avait traversé toute la Romandie : Fribourg, Payerne, Yverdon, pour se retrouver à une heure du matin à Lausanne, sans aucun train avant 5 heures et seulement pour aller travailler sans dormir. Il était vraiment mal, mais je n'avais aucune solution à lui proposer. Là, ce soir, pas de soucis, une fois vidé, j'éteins les lumières et laisse tout ouvert pour le nettoyage : il y a du vomi et les wc sont plus que lamentables, mais pas bouché. Un soir de weekend ordinaire en somme. J'aime ce récit que vous avez fait. Ca me rappelle les accompagnements que j'avais fait quand j'étais en Roumanie (ici, en France, du moins dans l'Ouest de la France, il n'y a pas de trains de nuit.) Mais en Roumanie, en 2009 - 2010 - 2011, j'en ai fait quelques uns et c'était intéressant ... quand tout le monde dort, tu vois juste les rails devant toi, illuminées par les phares de la loc....et puis les signaux: vert, vert, quelques fois jaune ou jaune vert...
likorn Publication: 24 mars 2018 Auteur Publication: 24 mars 2018 Je parlais de la période de circulation. Il s'agit de trains qui circulent la nuit, pas de train de nuit au sens de trains couchettes. En fait, il s'agit de ce qui s’appelait il y a encore deux ans les services pyjamas, les trains qui ramènent les fêtards entre 1 et 4h du matin. Y a une époque, c'était surtaxé dans la théorie, dans la pratique beaucoup moins.
TintinGV Publication: 24 mars 2018 Publication: 24 mars 2018 Le 14/03/2018 à 10:56, mikishor a dit : J'aime ce récit que vous avez fait. Ca me rappelle les accompagnements que j'avais fait quand j'étais en Roumanie (ici, en France, du moins dans l'Ouest de la France, il n'y a pas de trains de nuit.) Mais en Roumanie, en 2009 - 2010 - 2011, j'en ai fait quelques uns et c'était intéressant ... quand tout le monde dort, tu vois juste les rails devant toi, illuminées par les phares de la loc....et puis les signaux: vert, vert, quelques fois jaune ou jaune vert... Il y avait des trains de nuit partants de Brest et Quimper vers les Alpes et la Méditerranée. 1 1
Greg4546 Publication: 24 mars 2018 Publication: 24 mars 2018 Il y a 7 heures, TintinGV a dit : Il y avait des trains de nuit partants de Brest et Quimper vers les Alpes et la Méditerranée. Notamment le Train Rhône-Océan 2
Mak Publication: 25 mars 2018 Publication: 25 mars 2018 (modifié) Le 24/03/2018 à 09:06, TintinGV a dit : Il y avait des trains de nuit partants de Brest et Quimper vers les Alpes et la Méditerranée. Sans oublier le 3627, Paris Brest Quimper avec arrêt à Nogent le Rotrou et voiture directe pour Quiberon et Dinard ! Modifié 25 mars 2018 par Mak 1 2
Invité jackv Publication: 2 avril 2018 Publication: 2 avril 2018 petit coup de nostalgie (archives SNCF puisque c'est le seul endroit ou il reste ce type de train)
Xav29 Publication: 29 avril 2018 Publication: 29 avril 2018 Le 24/03/2018 à 16:14, Greg4546 a dit : Notamment le Train Rhône-Océan Blindé même dans ses derniers mois de circulation, les portes autos aussi. Je l'avais pris à de nombreuses reprises entre Lyon et Quimper 1
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