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Architecte intervenant sur le Patrimoine (bâti et matériels techniques) et sur les bâtiments à caractère patrimonial, j'ai été alerté fin juin 2024 sur le devenir du site de la gare de Saint Georges de Commiers, partie aval de la ligne du Chemin de Fer de La Mure, qui fait l’objet d’un dynamisme de mutation rapide après des années de sommeil contraint.

 

Mon propos est long ; vous voudrez bien m’excuser par avance de la liberté de ton employée, mais la richesse patrimoniale du sujet et la situation d’urgence nécessitent une synthèse en quelques pages, qui a fait l'objet d'une diffusion aux principaux intéressés, et dont les résultats sont lents à prendre une forme positive et surtout sécurisée... Or les démolitions démarreront sous quelques jours, après avoir bénéficié d'un décalage.

 

 

Une illustration d'une petite partie de ce Patrimoine, celle en danger immédiat, tournée avec les moyens de mon agence :
https://www.youtube.com/watch?v=uT_881dZUqk

 

 

A ce jour, la multiplicité des initiatives impliquées et concernées par l'avenir de ce site à des titres divers, rend compliquée l'idée d'une dynamique globale qui serait profitable à l'ensemble des parties, dans la mesure où il ne s'agit pas d'une friche commerciale ou industrielle "quelconque".

Il s'agit d'un ensemble patrimonial complet et représentatif, unique, de 1880 et décennies suivantes, illustrant concrètement l'activité et l'infrastructure nécessaires à l'exploitation d'un chemin de fer secondaire, avec des potentialités de développement à la fois patrimoniales (et c'est une tendance en hausse), économique, et d'aménagement dynamique du territoire avec une économie de moyens.

Si chaque bâtiment peut éventuellement trouver une similitude avec d'autres rares bâtiments du même type encore non détruits à ce jour, mais éparpillés sur tout le territoire national, l'ensemble est exceptionnel parce qu'il est complet avec toutes les machines outils de 1880 au début du siècle dernier et son parc de matériel ferroviaire historique, le tout en état de marche.

 

Il s'agit donc du dernier exemple complet représentatif pouvant être réutilisé et repensé pour une nouvelle dynamique, au lieu d'un gaspillage foncier et une perte patrimoniale définitive avec la dispersion de tous ses composants sortis de leur écrin, voire leur ferraillage ; l’intention de « faire propre » est certes louable, mais uniquement à courte vue et obérant beaucoup d’intérêts culturels et économiques ultérieurs. Aucun retour en arrière ne sera raisonnablement possible.

 

Ce scénario mortifère sans vision à long terme, qui était déjà difficilement justifiable au siècle passé avec la déprise par ignorance de pans entiers du Patrimoine, serait donc reproduit 'avec la meilleure bonne volonté' ?

 

Des nuages s’accumulent sur le bassin économique de la Métropole de Grenoble, il est impératif d’éviter la perte et le gâchis d’éléments permettant potentiellement de pallier une partie des conséquences futures … : il faut absolument faire l’effort collectif de reconsidérer la dynamique mise en œuvre, qui conduit à l’éparpillement stérile des initiatives, des prises de décisions fractionnaires, à l’épuisement des motivations aussi, et surtout : génératrice d’incompréhensions croisées.

 

Prenons ce Patrimoine dans son entièreté et pas seulement avec des vues fragmentaires limitées aux attributions de chacune des parties éventuellement concernées, pour trouver une solution constructive et acceptable pour le bénéfice de tous.

 


Le Chemin de fer de La Mure, construit en 1880 pour transporter l'anthracite de qualité exceptionnelle des mines du Villaret, de la Motte d'Aveillans, etc, vers la gare de Saint Georges de Commiers, a nécessité très tôt des moyens d'exploitation et de transport adaptés aux tonnages charbonniers : 740 000 tonnes annuelles transportées au plus fort de l'exploitation.

Ces besoins ont conduit à développer des outils adaptés pour l'entretien du matériel ferroviaire et de la ligne, ainsi que pour son électrification (Patrimoine également : un des premiers trains électrifiés de France, laboratoire d’innovations).

Pour entretenir tout ce matériel, la réponse aux impératifs a été réglée par des bâtiments de typologie spécifique. Adaptés à chacune de leur fonction, ils présentent des qualités architecturales certaines et une robustesse dans le temps, liée à l’intelligence technique de leur conception, leur économie de construction durable et donc leur logique d'entretien.

 

Cet ensemble est passé du 19e au 21e siècle quasiment intact, formant écrin d’une ambiance totalement représentative des infrastructures ferroviaires et industrielles du début du siècle dernier : ceci tient aujourd’hui du miracle absolu … et semble avoir échappé, totalement ou partiellement à la plupart des parties en présence, très probablement par déficit d’information éclairée.

Une visite vaut mieux que des mots : 400 personnes sont venues aux dernières Journées du Patrimoine, et ont découvert... et bien plus : ont perçu directement toute l'importance de la richesse historique, technique, et architecturale encore en place.

 

 

Les informations foisonnantes, les évènements et interventions sur le site et les enchaînements divers aux conséquences dommageables depuis ce début d’année incitent à agir en urgence, mais de façon cohérente avec une vision élargie : il ne s’agit en aucun cas d’une banale friche de grande surface commerciale à requalifier, mais d’un Patrimoine qui, une fois disparu ou dispersé, ne sera jamais reconstituable : cela vaut pour l’ensemble des bâtiments du site qui forme un tout architectural, comme pour le contenu de ces bâtiments qui est vivant : les machines-outils en opération, l’ensemble des matériaux et pièces, objets, mobiliers et accessoires de travail encore présents simultanément donnent à voir et à comprendre les process d’exploitation en 3D au sein d’une unique ambiance globale.

 

Cette ambiance phénoménale n’existe plus ailleurs. Nulle part. Le site en est de facto le dernier témoin intact et encore vivant ; porté et maintenu par les efforts de l’association Les Rails du Drac, et indirectement mis en valeur par les opérations préparatoires en cours, ce témoin impose une véritable transmission, aux aspect sociétaux et économiques positifs pour l’ensemble du cadre social qui l’entoure, sur le moyen et le long terme.

 

Les conditions sont à portée de mains, simplement.

 

 

Il est donc plus que nécessaire et urgent d’envisager sereinement une évolution de la situation, prenant en compte les impératifs techniques et de sécurité qui auraient une incidence sur le site, tout en mettant en place le cadre d’une mise en situation pérenne. Chacun des postes identifiés, documentés, et synthétisés ci après peut être abordé en détails dans un second temps :

 

. La structure à ossature bois du Wagonnage voué à la démolition pure et simple, permet un réemploi et une reconstruction à un autre emplacement sur le site, en composition architecturale et technique avec les autres bâtiments ; il conserverait donc son caractère d’exemplarité : cela intéresse les instances professionnelles des métiers du bois, et le principe de la déconstruction / reconstruction d’un bâtiment à ossature bois s’inscrit désormais dans la nouvelle approche technique du bâtiment durable, à la différence d’un bâtiment « en dur ». La démolition à la pelle mécanique ne s’incrit pas dans cette logique, et l’urgence de la situation qui se révèle en fait toute relative ne l’exige pas. 

Ce bâtiment est parfaitement adapté au besoin de stockage sécurisé des vélo-rails électriques envisagés. Le contreventement assuré par les remplissages briques (n’ayant qu’une fonction structurelle secondaire) peut être restitué, et la déconstruction propre à toute ossature bois peut parfaitement se faire en conservant l’ensemble des pièces et pans de bois, portails, etc. pour un coût qui doit s’inscrire dans le montant du marché passé avec l’entreprise attributaire si tant est que ce soit le problème principal.

 

Selon l’étude hydrologique, sa disparition « serait un prérequis » pour remettre le ruisseau des Chaussières traversant le site, à l’air libre. L’historique des droits d’eau afférents à ce cours d’eau requiert une attention particulière de ce fait, la sécurisation du site étant primordiale ; il faut gérer avec mesure et bon sens la portée des dispositions conservatoires pour la protection des riverains. Suite aux recommandations en cours d’élaboration, des dispositions sont à prendre qui n’impliqueront pas automatiquement une destruction de patrimoine immobilier ... en sachant que les constructeurs de cette ligne avaient nécessairement intégré les risques de crues dans le dimensionnement des ouvrages d'art, avec des sections libres adaptées aux situations les plus exceptionnelles. Ce qui était la règle fin 19e siecle...

 

. Les bâtiments du site aval, Grand Atelier, Administration, Grande Remise, Remise Vapeur, Bâtiment des Huiles, Magasin des Pièces, Ateliers du Haut, Hangar du Ravison, sont à regarder au-delà de leur apparence actuelle : leur maintien dépend uniquement de travaux pour l’instant mineurs à réaliser à court terme, pour qu’ils conservent leur fonction de clos / couvert et d’écrin au patrimoine mobilier sans dépense excessive.

 

. Le Basculeur / Culbuteur de wagons tombereaux à voie métrique pour le transfert du charbon dans les wagons à voie normale, présent sur le site, est encore en état de fonctionnement ; avec l’ensemble de cabestans et de poulies de renvoi des manœuvres de wagons par câbles, il est le dernier exemplaire existant permettant de montrer cette technologie en situation réelle.

 

. Les besoins en parking, au niveau local pour Saint Georges de Commiers comme pour le P+R, ou nécessaires pour l’activité des vélos-rails, peuvent totalement être gérés sur le site en limitant la consommation d’espace et les surfaces imperméabilisées (coûteuses de surcroît) ; la complexité du foncier, la multiplicité des propriétaires, l’interpénétration des parcelles (cf parcellaire en annexe) implique une lecture et une finalisation d’une composition urbaine intelligente, pour éviter un effet de juxtaposition sans âme d’équipements divers non porteurs de sens.

 

. Tous les poteaux supports de la ligne de contact aérienne encore en place sur la plateforme entre Saint Georges et Notre Dame de Commiers sont à conserver à toutes fins utiles, de même que les équipements, y compris les plus modestes, pouvant être considérés par erreur comme obsolètes : ils sont les constituants, de l’ambiance patrimoniale. Leur dépose à grands frais n’apporte pas grand-chose en dehors d’une somme misérable au prix de la ferraille, alors que le coût de reconstruction serait certain.

 

. Tout le matériel ferroviaire présent sur le site, avec ses particularités techniques illustrant un savoir faire de haute technicité, est en lui même un Patrimoine ; il faut regarder au-delà de la déshérence, et de la tentation de tout ferrailler « pour faire propre » ou de le disséminer, conséquence de raccourcis intellectuels et de décisions qui pourraient être perçues comme «  acceptables » compte tenu du nombre et de la variété d’unités important en apparence, mais qui recèlent des trésors historiques.

 

En effet, la restauration de ce parc, qui constitue une sorte de stock, est une activité patrimoniale d’intérêt économique : ce savoir faire est ‘montrable’ et intéresse systématiquement les visiteurs d’aujourd’hui dans les scénographies muséales dynamiques du patrimoine ferroviaire. De ce fait, la dispersion des pièces détachées essentielles à cette activité et la destruction des Magasins avec leur logique de stockage représentative, pour revente au prix de la ferraille, serait une erreur d’appréciation d’une gravité certaine.

 

Accessoirement, la mise « à l’air libre » du matériel roulant préservé et en bon état, et son stockage en extérieur, même sous un simple auvent, signerait la fin irrémédiable de sa fonction première, la mobilité, et de son intégrité : les exemples abondent de destructions par vandalisme.

 

 

D’autres sujets patrimoniaux liés au site, tout aussi importants pourraient être énumérés ici, sujets réels d’une réflexion à mener sans attendre ; entre autres, et relativement fondamentales pour l’avenir proche :

 

. Les interactions entre la ligne amont exploitée en chemin de fer touristique et l’ensemble du patrimoine de partie aval sont particulièrement évidentes ; les informations publiques contradictoire sur l’urgence de la « mise à l’abri de matériel » ne doit pas se traduire par des prélèvements ponctuels dissociant les objets présents de leur environnement technique, qui équivaut à un démembrement violent et fractionnel du patrimoine de la partie aval, les réduisant de facto à l’état d’objets morts et sans usage. Cette vision muséale figée est désormais combattue par l’ensemble des intervenants spécialisés dans cette activité technique

 

Les deux parties de la ligne, de part et d’autre de la césure de l’éboulement de La Clapisse, forment un tout patrimonial, chacune avec ses spécificités complémentaires, la partie Amont à La Mure, et la partie Aval, à Saint Georges de Commiers

 

Compte tenu du résultat visible et du parfait état de présentation actuel du site, il est donc logique et évident que la dynamique réelle initiée depuis seulement quelques années sur le site de Saint Georges de Commiers par l’association Les Rails du Drac fait partie d’un processus positif de renaissance, pas d’une logique mortifère ou manquant de souffle. En termes d’image, il serait fortement regrettable que son action soit réduite à une « utilité » dans un process de désengagement et de disparition du site sous son aspect patrimonial ; les Rails du Drac font intégralement partie de la logique globale de sauvegarde éclairée par son expertise.

 

 

Comme dit en introduction, j’avais pris contact et quelquefois échangé, dans le cadre d'une mission de "bons offices" indépendante que j'essaie d'apporter librement entre .

Il est essentiel de coordonner toutes les parties en présence, avec leur multiplicité précieuse de niveaux et domaines de compétences, pour tenter d’infléchir une trajectoire dommageablesans attendre la dynamique globale qui permet de sauvegarder ce patrimoine en agrégeant toutes vos sensibilités, qui oeuvrent toutes en parallèle les unes des autres, ayant en commun le souci de ne pas laisser la déshérence et la friche prendre le dessus.

Il faut trouver un point d'arrêt aux incompréhensions stériles et contre productives génératrices de tensions inutiles, entre des porteurs de projets distincts qui ne demandent en fait qu'à fonctionner dans un même but en portant cette responsabilité patrimoniale certaine.


Le temps précieux s’écoule rapidement, en favorisant des incompréhensions et interprétations néfastes aux conséquences définitives.

 

Il est essentiel que la maximum de personnes s'empare de ce sujet avec un regard positif et une bienveillance active pour ce Patrimoine,

Chacun à son niveau peut mobiliser une partie, même infime, d'énergie pour appuyer cette sauvegarde : courriers, mails, contacts directs avec les services concernés : Conseil Départemental, Commune, Etat, Métropole de Grenoble, DRAC Auvergne Rhône Alpes, etc... qui ont tous une partie de la responsabilité patrimoniale.

 

Merci !


 

 

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  • J'aime 1
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Joli plaidoyer !

ça manque juste un peu de détails chiffrés et étayés.

Tout le monde aime le patrimoine mais à quel prix et pour quel projet avec quelle viabilité dans le temps ?

ça fait combien 10/15 ans que ce sujet est porté avec de multiples vicissitudes et rebondissements ?  

Donc en quelques lignes style note de synthèse(je sais c'est un véritable exercice)  : on veut faire quoi concrètement de ces installations ?

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